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Stage égalité filles-garçons : une enseignante raconte

jeudi 5 février 2015, par oleg

Une collègue ayant assisté à l’un des tout premiers stages de formation à l’égalité filles-garçons a accepté de répondre à nos questions. Prudentes et nuancées, ses réponses révèlent les intentions de l’institution, qui ne semble n’avoir qu’une égalité à proposer aux élèves, celle de la parité parfaite, nombrable et imposée.

1) Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter et dire ce qui vous a amenée à cette "sensibilisation à l’égalité filles-garçons" ?
Je suis professeur d’éducation musicale depuis une quinzaine d’années en collège public dans le Val d’Oise. J’ai exercé d’abord en ZEP avec des élèves dont la plupart étaient en difficultés face aux apprentissages, à la culture de l’école, en raison d’une maîtrise de la langue française réduite et lacunaire. Je suis actuellement dans un collège ayant une configuration sociologique favorisée. Dans le cadre du Plan Académique de Formation, j’ai demandé le stage égalité filles-garçons afin de savoir de quoi il s’agit lorsqu’on nous dit qu’il faut travailler à l’égalité filles-garçons. Suite aux polémiques médiatiques sur les « ABCD de l’égalité », je voulais en apprendre davantage sur la parole officielle. Ne l’observant pas sur le terrain dans les pratiques de mes collègues et de moi-même, je me demandais où était ce problème d’égalité dont l’éducation nationale a fait son cheval de bataille. Quelle est l’égalité dont parle l’éducation nationale ?

2) Racontez-nous ces deux journées : concrètement, que vous a-t-on proposé ?

Les deux journées ont été animées par trois intervenants : Jean-Louis Auduc et deux formateurs de l’Aroeven (associations régionales des œuvres éducatives et de vacances de l’éducation nationale) parmi lesquels Sylvain Gavroy sociologue travaillant les questions de genre. Les intervenants de l’Aroeven ont commencé par une présentation rapide et peu précise des objectifs des deux journées de formation : se poser collectivement la question de l’égalité et évoquer des situations de discrimination sans que ne soit jamais défini le concept d’égalité sur lequel nous étions invités à réfléchir. La première journée a été consacrée à des échanges autour de différentes formulations proposées à notre réflexion selon la technique de réflexion individuelle et collective du Q-sort. Le thème du Q-sort était « l’égalité filles-garçons c’est », puis 21 affirmations étaient proposées à notre réflexion parmi lesquelles : "déconstruire préjugés et stéréotypes" ; "éduquer séparément les filles et les garçons" ; "inclure le genre de façon transversale dans les programmes scolaires" ; "inculquer « la théorie du genre » ; "faire preuve de féminisme" ; "expliquer aux élèves que garçons et filles sont complémentaires". N’ont fait l’objet d’aucun commentaire les phrases comme « les diplômes des uns valent autant que ceux des autres », « chacun a confiance en soi ». « Déconstruire les préjugés et les stéréotypes » a recueilli l’assentiment de la plupart des participants tandis que « éduquer séparément les filles et les garçons » a fait l’objet de la majorité des désaccords. L’ensemble des échanges s’est fait entre les participants, les formateurs se sont contentés d’animer et se sont montrés très prudents dans leur prise de parole.
Ces échanges ont ensuite servi de base au travail pour un bref atelier de mise en pratique autour d’un cas rencontré par une collègue : un élève a refusé de nettoyer sa table a la cantine parce qu’il n’était pas une fille. Que pouvons-nous lui proposer pour l’aider ?

Lors de la deuxième journée, nous avons eu l’intervention de monsieur Jean-Louis Auduc qui a centré son propos sur la difficulté des garçons à rentrer dans le processus d’apprentissage à l’école et sur la répartition sexuée des professions actuellement. Nous avons terminé la journée par un atelier pour trouver des outils pour éduquer à l’égalité dans nos établissements avec 3 thèmes : déconstruire les stéréotypes, soutenir les garçons à l’adolescence, informer les familles sur les actions éducatives à l’égalité filles-garçons.

3) Sur quelle conception de l’égalité les formateurs se sont-ils appuyés ? y avez-vous décelé la présence de la doctrine du genre ?
Il est difficile d’affirmer sur quelle conception de l’égalité les formateurs se sont appuyés, puisque rien n’a été dit clairement de leur part. Je pense qu’ils ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils veulent. Ils sont dans une pensée mouvante, ambiguë et dans une lecture de la réalité très duelle, dans une pensée dialectique qui suppose des dominants et des dominés et des jeux de pouvoir plus ou moins conscients entre les sexes. En ce qui concerne la présence de la doctrine du genre, il m’est difficile de répondre. Je vais juste évoquer deux moments qui m’ont semblé révélateurs de la volonté de rester dans l’ambiguïté au sujet de ces théories et de la façon dont est pensée la question du genre au sein de l’institution. Lors des échanges sur l’affirmation « Inculquer « la théorie du genre » », Monsieur Gavroy a évoqué les études de genre sans parler des contenus réels de ces études, sans aborder les axes philosophiques et anthropologiques de certaines pour conclure que genre était un terme mouvant, alors que dans son article publié dans la revue Foéven de décembre 2012 « le genre, un cas d’école », il apparaît que son champ de réflexion sociologique est celui de l’étude des rapports sociaux de sexe afin d’ « agir sur la mixité dans le sens d’une éducation qui donne à chacun la possibilité d’agir comme il le veut, libre des pressions sociales, quel que soit son sexe » [1] et que son objectif de travail est de déconstruire le discours de la complémentarité et les représentations traditionnelles afin de favoriser « un discours universaliste qui présentent (les personnes) comme interchangeables ». Cette volonté de ne pas penser en termes de complémentarité s’est confirmée lors de sa conclusion au sujet des échanges sur l’assertion « Expliquer aux garçons et aux filles qu’ils sont complémentaires ». Monsieur Gavroy a conclu en signalant que la notion de complémentarité était à prendre avec précaution car elle pouvait renvoyer à certaines « idéologies religieuses », idéologies qui ont été disqualifiés sans être définies.
A aucun moment des deux journées de formation les propos n’ont été étayés d’études scientifiques, rien sur le processus d’appropriation et de construction de l’identité sexuée chez l’enfant, rien ou des bribes égarées dans le discours sur le développement de la personnalité de l’adolescent.

Il me semble que ce qui est sous-jacent est une perception du genre selon la théorie qui développe que tout est construction sociale et que rien n’est reçu à la naissance. Hommes comme femmes, garçons comme filles auraient les mêmes compétences et les mêmes appétences et pourraient être interchangeables dans leurs rôles sociaux. Si les garçons sont plus enclins à choisir des études mécaniques et technologiques ce serait uniquement par imitation sociale et si les filles choisissent des carrières touchant la vie c’est aussi parce qu’elles subiraient une assignation due au rôle social qu’on attend d’elle. De là évidemment cette volonté farouche de changer la société par une politique de « déconstruction des stéréotypes », on peut dire qu’il s’agit d’une volonté de « rééducation » afin de libérer les garçons et les filles de leur « assignation à résidence », pour reprendre le terme de Jean-Louis Auduc, assignation que nous subirions inconsciemment. D’après les documents qui nous ont été distribués, le tract du ministère et la revue de la Foéven de décembre 2012, l’égalité est abordée comme une valeur fondamentale de la République, dont l’objectif serait de réussir l’égalité parfaite 50/50. Il s’agit d’une conception abstraite à partir de laquelle on va appuyer la volonté de corriger les chiffres statistiques. Il ne s’agit pas de travailler au développement de l’égalité de la dignité de tout homme, de toute femme, il s’agit de travailler le développement d’une idée que l’on se fait de l’égalité selon laquelle rien n’est reçu, tout est construit socialement : réussir l’égalité serait de parvenir à 50/50 dans toutes les sphères de la vie sociale en éliminant toute idée d’inclination naturelle des hommes ou des femmes pour certaines activités.

4) Dans l’ensemble, quelle impression gardez-vous de ces deux journées ? En avez-vous tiré un bénéfice pour votre pratique professionnelle ?

J’ai l’impression d’avoir un peu perdu mon temps mais aussi d’avoir saisi qu’on donnait à l’école des missions éducatives portées par des idéologues dont la pensée est aveuglée par la volonté de changer la réalité. Je me suis rendu compte aussi que certains collègues étaient imprégnés de cette obsession de l’égalité. Mais la résistance passive de la réalité quotidienne aux théories aura certainement raison de ce zèle idéologique. En ce qui concerne ma pratique professionnelle, à part avoir appris une technique d’animation et de formation par le Q-sort, je ne pense pas tirer un grand bénéfice de ces deux journées de formation. Peut-être utiliserai-je davantage le mot de « complémentarité » des voix lorsque j’aborderai la notion de polyphonie en musique, comme un clin d’œil à la réalité de notre monde.

Note
[1] "Rapports sociaux de sexe au sein des équipes d’animateurs", p.54 à 56, in la revue Foéven, ressources éducatives, le genre, un cas d’école, décembre 2012, n°164, ISSN n°1153-2092.

1 Message

  • Stage égalité filles-garçons : une enseignante raconte Le 10 février 2015 à 13:51, par AUDUC Jean-Louis

    En toute amitié, je pense que la collègue présente a un peu simplifié mon intervention notamment qu’en j’évoquais le développement sexuée différenciée filles-garçons lors de la sortie de l’enfance. pour le reste, n’étant venu que trois heures à ce stage pour une intervention ciblée, je ne peux rien en dire,mais je sui stoujours réconforté quan d les gens réagissent surtout sur un site que j’aime bien......

    Jean-Louis AUDUC

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