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Entretien avec Charles Eric de Saint Germain, auteur de "La Défaite de la raison"

mercredi 10 juin 2015, par oleg

Professeur en classes préparatoires et philosophe, Charles-Eric de Saint Germain est auteur du livre La défaite de la raison. Essai sur la barbarie politico-morale contemporaine . S’intéressant de près à ce qui passe actuellement à l’école, il a bien voulu répondre aux quelques questions qui suivent.

1) Pouvez-vous vous présenter, dire qui vous êtes ?
 Marié et père de quatre filles, je suis professeur de philosophie en Hypokhâgne et Khâgne. Ancien élèves de l’ENS, Agrégé et docteur en philosophie, j’ai publié plusieurs ouvrages, dont le dernier, La défaite de la raison. Essai sur la barbarie politico-morale contemporaine (éd. Salvator) aborde des questions très actuelles : la décomposition de la famille, le dogme égalitariste, la quête désenchantée du plaisir, les devoiements de la laïcité, les restrictions sur la liberté de conscience, la révolution féministe et les Gender Studies, et enfin la transformation de la démocratie en médiacratie.

2) Quel constat dressez-vous, au sujet de l’école aujourd’hui ?
L’école est en très mauvais état, et je crains que la réforme de Najat Vallaud-Belkacem ne fasse qu’aggraver et empirer les choses. Les constats faits aujourd’hui semblent montrer qu’elle est devenue de plus en plus inégalitaire, et ce alors même qu’elle n’a cessé de se démocratiser et d’abaisser ses exigences pour scolariser le plus possible le maximum de gens. Les savoirs et la culture, qui garantissent la formation d’un jugement critique et éclairé, sont de moins en moins transmis par les professeurs, du fait qu’ils sont inassimilables par certains élèves. Et la formation des enseignants est, la plupart du temps, déconnectée de la logique même de la discipline qu’ils doivent enseigner : en faisant de l’éducation une science à part, on a oublié que la pédagogie n’est pas séparable du contenu qu’elle transmet, et on cherche des recettes à appliquer dans toutes les matières, alors que chaque discipline a sa propre méthodologie. En renonçant à transmettre une culture, il n’est dès lors guère étonnant que les élèves s’ennuient en cours, et ils arrivent dans l’enseignement supérieur parfois sans avoir jamais ouvert un seul livre de la discipline qu’ils choisissent à l’université ! Tout se passe comme si la France vivait avec cinquante ans de retard sur les Etats-Unis : nous en sommes encore à mettre en œuvre des « pédagogies » qui étaient en vogue dans les années 50 sur le continent américain, mais qui ont été abandonnées, et depuis belle lurette, devant l’absence flagrant de résultats. Tant que l’idéal méritocratique, qui était au cœur de l’élitisme républicain, était pratiqué, nous avions un système scolaire qui était l’un des plus performants au monde. Aujourd’hui, il est en train de sombrer dans les profondeurs des classements internationaux, mais les solutions proposées, au travers de cette « pathologie réformiste », ne font qu’aggraver les choses. L’idéologie égalitariste qui prédomine dans l’esprit de nos « réformateurs » les rend totalement aveugles sur les « solutions » qui s’imposeraient.

3) D’après vous, comment en est-on arrivé là ?
A mon sens, l’Ecole a été abandonnée à des idéologues et à des « pédagogues-démagogues » qui ont instrumentalisé l’école pour résoudre des problèmes de société. La scolarisation de masse, par exemple, s’explique par la volonté de scolariser le plus tard possible les élèves venant de milieux défavorisés, car on estime qu’un élève non scolarisé est potentiellement violent et dangereux. Mais le résultat (pensons au problème du harcèlement) c’est que la violence sociale se reporte dans l’école, alors que l’école devrait au contraire être un « sanctuaire » ou l’enfant est préservé de la violence sociale. De même, sous prétexte de lutter contre les inégalités sociales, les disciples de Bourdieu, partant du désir de construire une société plus juste et plus égalitaire, en ont conclu que l’école devait être la plus démocratique possible et devait mettre les enfants sur un « pied d’égalité », en leur transmettant à tous le même bagage culturel. D’où une tendance à l’uniformisation de l’éducation, qui s’est traduite par la création d’un collège unique, mais qui ne permet pas aux enfants de s’épanouir dans des formations qui leur conviennent, et ce alors même que la reconnaissance de la diversité des talents, qui est un plus pour la société, devrait conduire à la pluralité des formations. Le résultat, c’est que les jeunes arrivent aujourd’hui sur le marché du travail sans savoir vraiment ce qu’ils veulent faire, puisqu’on ne leur a pas donné la possibilité de s’épanouir dans une filière adaptée à leurs dispositions personnelles. La grave erreur est donc d’avoir confondu l’Ecole et la société, et d’avoir voulu faire de l’Ecole une sorte de « laboratoire de la démocratie ». Or l’Ecole n’a pas à être démocratique, mais elle doit permettre à chaque individu de révéler ses talents, elle doit éveiller et susciter des vocations. En voulant évacuer toute compétition entre les élèves, toute « hiérarchie », on les empêche de donner le meilleur d’eux-mêmes, de s’élever. Certes, il ne s’agit pas de faire de l’Ecole une sorte de « jungle » où chacun chercherait à écraser les autres, puisque ce serait, là encore, calquer l’Ecole sur la société, une société ultra-compétitive et basée sur la loi du marché. Mais ce qui doit être mis en avant à l’Ecole, il faut le redire, c’est le principe de « l’égalité des chances », pas celui de « l’égalité des résultats » . L’élève a besoin de savoir ce que « vaut » son travail, ne serait-ce que parce que c’est le meilleur moyen de se préparer à affronter, dans un contexte de mondialisation, la concurrence à laquelle il sera livré quand il entrera dans le monde du travail. Or on refuse de plus en plus d’établir des hiérarchies entre les élèves, et il est probable que si l’on poursuit dans la logique de cet « égalitarisme à la baisse », on tendra de plus en plus à interdire toute possibilité de comparaison entre les élèves, et donc toute « évaluation », sous prétexte qu’elle sera perçue comme « discriminante ». Il y a là, à mon sens, une « féminisation » de l’Ecole qui reflète peut être une tendance plus lourde de la féminisation de la société dans son ensemble.

4) Et que faudrait-il faire alors pour retrouver une école de qualité ?

Déja, je crois qu’il faudrait rendre l’école à sa vocation première, qui est de transmettre. L’école de doit pas être instrumentalisée à des fins idéologiques, car ce serait se méprendre sur ses finalités que d’en faire un lieu de résolution des problèmes sociaux. Mais s’il faut garder l’Ecole des « idéologues » et des « pédagogues-démagogues », il faut aussi la garder des pressions parentales, qui ne voient souvent dans l’Ecole qu’une sorte d’antichambre de la société, destinée à permettre aux enfants de s’y insérer pour y trouver un emploi. Il est compréhensible qu’en cette période de crise et de fort chômage, les parents soient tentés de vouloir pour leurs enfants une formation strictement utilitaire, ce qui les amène alors à rejeter des formations dont ils ne voient pas d’emblée l’intérêt pour leurs enfants. On peut penser au latin et au grec, mais aussi à d’autres disciplines, comme la philosophie, dont les parents ne perçoivent pas toujours pour leurs enfants l’utilité. Pourtant, c’est paradoxalement ce sens de la gratuité dans l’effort que l’Ecole devrait prioritairement transmettre. Mon expérience d’enseignant m’amène à constater que les élèves qui réussissent sont les élèves qui sont capables d’une véritable curiosité intellectuelle, et chez qui le plaisir d’apprendre passe avant toute considération d’ordre utilitaire. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas se préoccuper de la réussite des enfants aux examens, mais celle-ci ne constitue pas une fin en soi, elle ne devrait être, dans l’absolu, que la conséquence de l’intérêt que l’élève aura pris à son apprentissage. Or lorsque l’Ecole se contente d’apprendre à apprendre, lorsqu’elle se contente d’accompagner l’élève dans son projet, sans lui transmettre cette culture qui lui donne les clefs pur déchiffrer le monde dans lequel il vit, elle perd vite tout intérêt pour l’élève, qui ne tardera pas à s’y ennuyer. Ce n’est donc pas parce que la culture crée des inégalités qu’il faut renoncer à la transmettre. Mais pour cela, il faut aussi des professeurs pour qui la discipline qu’ils enseignent correspond à une vraie « vocation », c’est-à-dire qui ont eux-mêmes la passion de la matière qu’ils enseignent : c’est cette passion seule qui peut donner le désir de la transmettre, et qui permettra d’éveiller ou de susciter des vocations chez les enfants eux-mêmes...

1 Message

  • Une résurgence de Lyssenko ? Le 10 juin 2015 à 19:35, par AF

    Doit-on lire l’ensemble des "réformes", ou plutôt changements, opérés depuis le "collège unique" de Haby, comme l’application directe de la méthode Lyssenko ?
    Pour mémoire, ce personnage a sévi en Union Soviétique de 1935 à 1965 en tant que régent absolu de toute la recherche biologique et en particulier la génétique. Il n’avait aucune compétence scientifique, ce qui ne l’a pas empêché de décréter une nouvelle "science prolétarienne" opposée à une "science bourgeoise".
    D’innombrables témoignages nous rappellent les situations sans issue des véritables scientifiques sommés d’obtenir des résultats impossibles, et réduits à falsifier les expériences : la réalité ("bourgeoise" à l’époque, puis "capitaliste" et désormais "machiste" ou "sexiste") se joue des "théories" fumeuses.
    Le parallèle avec nos apprentis pédagogistes est tentant, surtout la dernière qui n’a strictement aucune connaissance du système et se garde bien d’y mettre ses propres enfants (ne lui jetons pas la pierre, tous ont agi ainsi).

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