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Eux et nous : Récit d’une formation obligatoire à la réforme du collège

jeudi 26 novembre 2015, par oleg

Une jeune collègue, que nous appellerons Sophie, vient de subir une séance de formation à la réforme du collège. Professeur de français dans un collège de la banlieue lyonnaise, elle nous a fait parvenir le témoignage qui suit.

Aucune envie d’aller à cette formation obligatoire, sur trois jours, qui va encore supprimer des cours de français à mes élèves qui en ont grand besoin... Mais faire grève toute seule n’a aucun sens. Alors j’accompagne mes collègues et ceux de trois autres collèges. Nous sommes la première vague, les « flots bleus », nous dit-on.
Accablée dès la première minute, à la fois par le ton et le contenu de ce que nous dit le représentant de la rectrice, je suis vite rassurée : les tenants de la Réforme du collège travaillent contre elle. En effet, la vacuité du projet et le mépris pour les enseignants sont évidents dès que nous nous retrouvons face à eux. Par exemple, après nous avoir flattés en nous appelant « ingénieurs », largement compétents pour proposer des solutions de mise en place de cette réforme, on nous rappelle ensuite que nous sommes « fonctionnaires » dès que nous affirmons que nous ne serons pas volontaires pour ces fameux EPI. Voilà pour le mépris, qui dégénère même plusieurs fois en agressivité : à un collègue qui ose lui demander de ne pas être méprisante, l’inspectrice d’Histoire-géographie qui a pris le bâton de parole répond : « Ne soyez pas insolent. » A croire qu’elle allait l’envoyer au piquet... Ce fut pire, il fut contraint d’écouter la suite !
Aucune de nos questions ne trouve de réponse concrète. Au professeur de lettres classiques, on répond que son avenir dépendra des choix de son établissement. Au professeur d’allemand, que la carte des langues est actuellement sur le bureau de la rectrice. Au professeur de SVT qui demande comment il peut dire dès à présent de combien d’heures il a besoin en 6ème (sur les quatre heures que la Technologie, la Physique-Chimie et la SVT devraient se partager) alors que les programmes ne seront pas validés avant mars, on répond que les programmes invalidés donnent une assez bonne idée des programmes qui seront validés. La première demi-journée s’écoule ainsi, de question inquiète en absence de réponse.
Lorsque, lassés des grandes idées vides, nous réclamons un exemple d’EPI, il nous faut des heures pour être entendus : on nous répond « Pas de problème », mais rien n’arrive. Maintenant, je comprends pourquoi. La honte devait les saisir...
Voici ce qu’annonce la première diapositive : Construire un EPI en SVT/Lettres pour « une mise en dialogue des domaines 4 et 5 du socle ». Curieuse, je me réjouis de voir enfin en vrai cette créature dont tout le monde parle, un EPI ! Mais la dégringolade est rude lorsque s’affichent les problématiques : « Quels sont les enjeux de l’alimentation ? » OU « Gargantua, Emma Bovary...mangent-ils équilibré ?  ». Viennent ensuite des titres : « Je me nourris, tu te nourris, il se nourrit » OU « Pourquoi manger végétarien à la cantine ou pas ? ». Dès lors, je ne me sens plus capable de rien avaler de plus. Et pourtant on m’affirme que cet EPI a l’avantage de concerner quatre des thèmes proposés pour les EPI. D’ailleurs, il est déjà mis en oeuvre actuellement, les enseignantes s’étant contentées d’essayer de le faire entrer dans le cadre des futurs EPI... Comment, certains élèves ont déjà la chance de transformer « un menu littéraire en menu végétarien, locavore ou bio » ?! Cerise sur ce gâteau indigeste, le tableau final évoquant les compétences évaluées concerne finalement les domaines 1, 2 et 4 du socle (cherchez l’erreur).
Outre le texte devenu simple prétexte, et les autres incohérences susdites, il semble que les conceptrices du projet n’ont réussi à s’accorder sur à peu près rien. Heureux modèle ! Chacun tremble sur sa chaise en se demandant avec qui, à la rentrée prochaine, il sera contraint de passer des heures de réflexion pour un tel résultat...
Enfin, il devient évident que cette liberté pédagogique qu’on nous vante pour faire passer l’absence de programmes validés se trouve grandement rognée par la contrainte de l’homogénéisation du travail sur tout un niveau : tous les professeurs de la même matière devront probablement étudier les mêmes textes, les mêmes notions et les mêmes documents, peut-être même au même moment, pour que puisse fonctionner l’organisation en cycle !
Finalement, l’avantage, c’est que tous les collègues qui étaient indifférents, hésitants voire timidement favorables à cette réforme sont ressortis de cette formation déterminés à s’y opposer de toutes leurs forces... Grâce à eux, nous savons ce que nous ne voulons pas.

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