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Réforme du collège 2016 : pourquoi faire grève le 26 janvier ?

lundi 18 janvier 2016, par oleg

Il y aura plusieurs raisons de se mettre en grève le 26 janvier prochain. Pour les uns, le statut du fonctionnaire, sa rétribution comme sa retraite, semblent en péril. Pour d’autres, la réforme du collège, instituée par décret en mai 2015, met fin à la conception d’une école conçue comme service public offert à chacun en fonction de ses capacités et de ses goûts. Certains enseignants enfin estiment que ce projet implique une diminution de la charge horaire qui induirait une perte d’heures voire de postes. Dans ce mécontentement, peu mentionnent les récentes entorses faites à la liberté d’expression au cœur de la fonction publique. Pourtant, quelques faits perpétrés ces derniers temps signalent la présence d’une menace.

Lors de la rentrée 2015, un document de l’Académie de Toulouse [1] était adressé aux chefs d’établissement, leur demandant de diligenter une enquête. Se voulant un "outil de pré-repérage et un protocole de formation ajusté pour des situations complexes", le texte attendait des directeurs qu’ils "détectent les établissements dans lesquels la formation prévue dans le cadre de la réforme du collège s’annonce complexe". Poussant ces derniers jusqu’au zèle, on leur demandait de dresser "au sein du conseil pédagogique", une "typologie des acteurs" et qu’ils distinguent les "opposants, rebelles, hostiles, irréductibles" des "attentifs, passifs, indifférents, indécis". Intrusive, cette investigation mettait les enseignants à l’examen, tandis qu’elle poussait le personnel encadrant à la suspicion. Appuyée sur des critères subjectifs, celle-ci avait en outre pour effet de cliver le corps éducatif, conséquence inattendue d’une réforme qui entendait restaurer le pacte républicain.

En décembre 2016, la rectrice de l’Académie de Grenoble écrivait de son côté une lettre obligeant les personnels enseignants de se conformer aux directives mettant en œuvre la réforme du collège. S’indignant de l’opposition manifestée par les enseignants à l’occasion de journées de formation, cette dernière demandait aux responsables de direction de lui « signaler les personnels qui entravent délibérément le bon déroulement des journées de formation ». Comminatoire, la missive s’achevait au sujet des réfractaires par la menace suivante : « je leur adresserai une lettre de remarque qui sera versée à leur dossier ». [2] Incitant à la délation, le document signalait une autorité prête à endommager des carrières sous le prétexte de l’irrévérence constatée. Abusive et déplacée, cette tyrannie administrative augurait mal de cette refondation de l’école, ardemment souhaitée par le Ministère de l’Éducation nationale.

Dernière péripétie enfin, une enseignante de l’Académie de Lille fut convoquée début décembre par son rectorat. La faute incriminée était, lui dit-on, "la gravité des faits qui se sont déroulés sur Twitter". Lisant sa lettre de convocation, la collègue découvrit stupéfaite que l’entretien était aussi destiné à évoquer sa situation professionnelle. A l’examen des charges, on se rendait compte que la fonctionnaire n’avait fait que retweeter un message peu élogieux à l’endroit des autorités éducatives. Disproportionnée, la réaction du rectorat montrait la fébrilité d’une institution incomprise de ses membres. Refusant le dialogue, l’administration se plaçait dans une posture de surveillance et de contrôle qui confinait à la censure.

On sait bien que tout fonctionnaire est tenu, pendant et hors de son temps de service, à une obligation de réserve. De même, il est recommandé à ce dernier de faire preuve de mesure dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles. Pourtant, ces restrictions ne sauraient entraver la liberté d’expression. A cet égard, la loi de juillet 1983, portant droits et obligations des membres de la fonction publique, est éloquente : « la liberté d’opinion », assure l’article 6 de cette dernière, « est garantie aux fonctionnaires ». Mieux encore, poursuit le texte, « aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses ». Ferme, l’article autorise donc les professeurs à faire état de leur opinion, pourvu qu’ils souscrivent à une forme de réserve. Écartelée entre expression et discrétion, la loi n’est-elle pas contradictoire ici ? Que peut réellement dire un agent de l’État, lorsqu’il prend la parole ?

Souple et féconde, cette apparente distorsion fait appel à la dimension jurisprudentielle de la justice, qui est la forme la plus haute du droit et donc de l’équité. Or en ce domaine, il faut bien constater le déséquilibre des attitudes. L’État ne fut-il pas le premier à sortir de sa réserve en taxant les penseurs qui osaient critiquer la réforme de « pseudo-intellectuels » ? Les gouvernants ont-ils su faire preuve de prudence et de discrétion en qualifiant les opposants au projet de Madame Vallaud-Belkacem d’ « immobiles » ? De même, il paraît curieux de s’indigner des oppositions d’un personnel, à qui on a imposé une réforme sans débat parlementaire, ni expérimentation préalable. Enfin, rappelons que ces nouvelles directives furent promulguées le 20 mai 2015, coupant court à une grande consultation nationale débutée auprès de enseignants. Démarrée le 11 mai 2015, cette dernière était destinée à faire l’objet d’une large synthèse, que les professeurs attendent toujours... Brutal, expéditif et indifférent, l’État qui procéda en autocrate a beau jeu de s’étonner de manquements, qu’il commit lui-même au centuple. Lorsque le mammouth se fait Léviathan, celui-ci doit bien s’attendre à quelques cris d’orfraies.

On pourra toujours invoquer le devoir d’obéissance. Mais se soumettre sans réfléchir est-ce encore coopérer ? La rue de Grenelle attend-elle vraiment de ses hussards qu’ils ne soient ni conscients, ni critiques, ni même combatifs ? Il y eut bien sûr un temps où la fonction publique réclamait de ses agents une loyauté absolue. Ce temps était celui où tout fonctionnaire avait l’obligation de prêter serment de fidélité au chef de l’État. Ce temps remonte à l’acte constitutionnel n° 7 du 27 janvier 1941, document qui fut signé de Philippe Pétain, maréchal de France, chef de l’État français. Ce temps ne sera pas le nôtre et il est à souhaiter que nul n’espère son retour.

Le 26 janvier prochain, nous ne nous mettrons pas seulement en grève pour défendre un collège menacé ainsi que des carrières en péril. Nous cesserons de travailler pour montrer aux élèves, à leurs parents, à nos collègues et au monde civil en général, la nouvelle menace qui pèse sur notre métier. Tenus au silence comme à la soumission, les enseignants refusent d’être les laquais d’une politique qu’ils réprouvent. Informés et prêts à informer, malmenés autant que soucieux d’un pays que l’on malmène, ils revendiquent le droit à l’exercice de leur conscience autant que la possibilité de porter l’objection. « Le courage », disait Jaurès en des moments tout aussi cruciaux, « c’est de chercher la vérité et de la dire ». Espérons alors que de nombreux professeurs se lèveront en ce jour de grève, pour opposer à l’inertie d’un Ministère qui trompe, dissimule et ricane, la force de l’indignation et le courage de la vérité.

Sources :
[1] www.siaes.com/publications/.../20151005_fichage_reforme_college.pdf
[2] http://nonalareforme.unblog.fr/2015/12/16/college-la-rectrice-de-grenoble-menace-les-anti-reforme/
[3] https://twitter.com/BasiezMartine/status/672680331150032896

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